Par : Daniela Petrulian[1], Imen Berkaoui[2] et Lotfi Guizani[3]
Vous vous demandez avec raison pourquoi avoir utilisé les mots « unifiée » et « normalisée ». L’article qui suit est présenté en primeur au Québec. Il vous expliquera la raison. Il présente un sommaire et des résultats d’un travail de recherche, qui a débuté en 2014 et qui est toujours en cours, mené par une équipe du Département de Génie de la Construction de l’École de technologie supérieure (ÉTS) en collaboration avec la compagnie Consultants Facades Plus. Ce travail vise à développer et mettre au point une procédure et des outils destinés à assister les professionnels dans l’exécution de leur mandat, à normaliser et à uniformiser la pratique d’inspection et d’évaluation de la sécurité des façades de bâtiments.
L’historique légal
Le 18 mars 2013 l’Assemblée Nationale adoptait une loi, la Loi 122, qui donnait pouvoir légal au Règlement visant à améliorer la sécurité dans le bâtiment. Parmi d’autres articles, ce règlement débutait l’obligation des propriétaires de faire vérifier les façades de leurs bâtiments à chaque cinq ans par un professionnel, ingénieur ou architecte[4]. Un autre article dudit règlement[5] donnait au professionnel le pouvoir de choisir sa propre méthode de vérification afin d’émettre un rapport de vérification attestant que les façades du bâtiment ne présentent aucune condition dangereuse.
Depuis 2013 les professionnels se sont appropriés avec courage et responsabilité dans ce nouveau créneau du domaine de la construction civile. Depuis l’introduction de ce règlement, les propriétaires et gestionnaires des bâtiments, ainsi que les professionnels d’inspection des façades entretiennent des points de vues différents et parfois différents au sujet de l’interprétation à donner à ce règlement et quant à l’envergure des inspections de façades et les exigences liées à leur entretien. Cette divergence, malgré les précisions apportées par le guide explicatif publié par la Régie du bâtiment du Québec[6], a mené à des écarts inacceptables dans la pratique, ainsi que dans les propositions d’honoraires dans les soumissions aux appels d’offres d’inspection de façades. Le « Guide explicatif des exigences d’entretien des façades » reste imprécis sur les méthodes et les limites de l’inspection obligatoire.
Pourquoi avoir pensé à ce projet ?
L’écart entre les méthodes utilisées par les professionnels provient de la nuance entre la vérification de la sécurité des façades et la vérification de l’état général des façades. C’est du domaine public de regarder les résultats des soumissions publiques. Les honoraires demandés variaient dans certains cas de 1 à 8 ou plus, selon la méthode proposée par chaque professionnel. Il est évident que ceci crée une insécurité et une non-compréhension pour le propriétaire. Nous avons essayé de nous mettre à la place des propriétaires afin de les guider dans cette nouvelle obligation légale.
La plupart des firmes d’inspection des façades de bâtiments s’inspirent, dans leur exécution, de la procédure d’inspection de la norme ASTM E2270 -14 «Standard Practice for Periodic Inspection of Building Facades for Unsafe Conditions». Cette procédure, qui a servi de base à la loi 122, décrit une méthode à appliquer pour l’évaluation et la déclaration des conditions non sécuritaires d’une façade.
En 2015, le Conseil et Laboratoire en Enveloppe du Bâtiment (CLEB), un expert consultant et un laboratoire d’essais implanté au Québec offrant des services d’expertise, de consultation et d’essai reliés à l’enveloppe du bâtiment, en collaboration avec l’Ordre des architectes du Québec, ont proposé un programme d’accompagnement en inspection et en entretien préventif des façades (PIEF). Le guide fournit aux gestionnaires et aux propriétaires d’immeubles, de même qu’aux professionnels, un cadre méthodologique qui explique clairement toutes les étapes à franchir lors d’un projet d’inspection. Toutefois, ce guide reste sur les mêmes principes que le Guide de la Régie du bâtiment.
Le « Guide explicatif des exigences d’entretien des façades » basé sur le Règlement visant à améliorer la sécurité dans le bâtiment[7] définit une condition dangereuse comme toute condition dans laquelle se trouve un bâtiment lorsqu’un élément de l’une de ses façades peut, de façon imminente, se détacher du bâtiment ou s’effondrer et causer des blessures aux personnes. Une façade est, selon le guide, le revêtement des murs extérieurs d’un bâtiment et tous les accessoires, équipements électriques ou mécaniques et autres objets permanents ou temporaires reliés à ces murs, comme les cheminées, les antennes, les mâts, les balcons, les marquises ou les corniches. L’inspection consiste, alors, à faire un examen visuel attentif pour établir l’état physique de la façade et de toutes ses composantes pour s’assurer qu’elle ne représente pas de conditions dangereuses pour les personnes circulant à proximité.
L’objectif de notre projet
Comment peut-on évaluer et juger une condition repérée comme dangereuse pour la sécurité de public ? À quel point l’âge du bâtiment et son environnement affectent-ils le degré de risque d’un défaut repéré ? Tels étaient les principales questions ayant servi de point de départ à ce projet.
L’objectif de notre projet de recherche est de développer une procédure d’inspection multicritères des façades de bâtiments en hauteur de nature à mieux uniformiser et standardiser les méthodes de travail et les évaluations de leur sécurité en lien avec la Loi 122, visant à améliorer la sécurité des occupants et des personnes circulant à proximité.
La procédure servira comme un algorithme de base pour développer un logiciel assistant à la vérification de la sécurité des façades. Il s’agit d’une première édition de la procédure qui sera appelée à évoluer en fonction des expériences vécues par les professionnels de l’inspection des façades. Le rapport complet de cette recherche sera présenté à la Régie du bâtiment du Québec et sera disponible pour consultation publique[8].
Voyons maintenant en quoi cette recherche aidera les professionnels et les propriétaires des bâtiments ?
Ce programme fournit un outil d’aide à la décision aux professionnels de l’inspection des façades, mais les décisions finales demeurent l’entière responsabilité des professionnels et de leurs équipes. Il se base sur l’évaluation des facteurs les plus importants dans l’évaluation de la vie d’une façade. Le professionnel suivra une procédure qui sera approximativement la même pour tous. La vérification d’une façade pourrait donc, à l’aide de cet outil, se dérouler sous une forme bien encadrée. Le professionnel sera muni d’une fiche à remplir selon des critères et des paramètres qu’il devra quantifier selon son expérience. À la fin cet outil accordera une note à la façade en question, tout en identifiant les conditions dangereuses.
Selon le score final obtenu par façade, le professionnel pourra facilement sortir des recommandations. Notre outil contient aussi une base de données qui sert de comparaison entre la façade à vérifier et une façade « modèle ». Une bibliothèque de fiches techniques spécifiques par type de défaut sera utilisée pour obtenir un rapport complet. De plus, cette année nous serons en mesure de fournir un logiciel qui aidera la prise de décision durant l’évaluation d’une façade. Il sera basé sur des critères de performance et des formules mathématiques développées par l’équipe de l’ÉTS. Nous reviendrons avec des détails sur ce logiciel bientôt.
Et la grande surprise ?
À notre grande surprise, la recherche a mené à d’autres résultats inattendus. D’après la norme américaine FMVSS 201 (Federal Motor Vehicle Safety Standards) et la norme Européenne ECE R21 qui testent l’impact de la tête des occupants d’un véhicule lors d’une collision, une vitesse de choc de la tête avec un objet de 6.7 m/s (soit 24.1 km/h) est la vitesse moyenne à partir de laquelle apparaissent les blessures sérieuses (blessures de niveau 3 sur une échelle de sévérité de 6).Or, en calculant la vitesse terminale de chute des objets dans l’air, incluant l’effet de la trainée de l’air, les chercheurs de l’ÉTS se sont rendus à des conclusions qui peuvent surprendre plus qu’un, par exemple : une cube de mortier ou de brique ayant une masse aussi petite que 10 grammes et tombant d’une hauteur de 6 mètres (l’équivalent de 2 étages), peut atteindre une vitesse de 40 km/h au niveau du sol Considérant la taille d’un passant adulte à 1.7m, cet objet heurtera sa tête à une vitesse d’au moins 30 km/h ce qui constitue un risque de blessure sérieuse. Évidemment, des objets plus grands et/ou plus lourds, constituent des risques plus élevés pour les passants même à des chutes de 2 étages et moins.
En conclusion
- L’utilisation de notre méthode uniformisera la façon dont les professionnels évaluent maintenant les façades : le score obtenu par chaque façade sera le résultat de la quantification des observations. Il servira aussi de comparaison et de support technique pour les vérifications futures;
- Les propriétaires pourraient se baser sur cet outil dans leurs appels d’offres. Des fiches normalisées seront fournies avec l’outil;
- Les bâtiments de 4 étages et moins, qui sont exclus de la Loi 122, peuvent aussi présenter des conditions dangereuses pour la sécurité des personnes. Les chercheurs de l’ÉTS sont d’avis que les bâtiments de plus de 3 étages doivent aussi être considérés à l’avenir. Depuis 2-3 ans il y a eu des événements tristes à Montréal quand des murs de bâtiments de 3 étages se sont effondrés. Il ne faut pas attendre des décès pour prendre des mesures appropriées.
Lotfi Guizani, ing.
Professeur du génie de la construction – ÉTS
Daniela Petrulian, Ing., M.Ing., MBA
Présidente – Consultants Facades Plus
[1] Daniela Petrulian, ing., M.ing., MBA, Présidente, Consultants Facades Plus
[2] Imen Berkaoui, ing. Jr., M.ing., Assistante de recherche, École de technologie supérieure (ÉTS)
[3] Lotfi Guizani, ing., Ph.D., Professeur, Éxcole de technologie supérieure (ÉTS)
[4] Règlement visant à améliorer la sécurité dans le bâtiment, art. 374
[5] Idem, art. 378
[6] RBQ, « Guide explicatif des exigences d’entretien des façades »
[7] Art. 375
[8] Berkaoui. I., Guizani, L., Petrulian, D., Viespescu, A., Abou Merhi, R. « Procédure d’évaluation de la sécurité des façades des bâtiments selon le Code de sécurité – Régie du bâtiment », 30 mars 2017